Silencio 2
D'aussi loin que je me souvienne, ma mère est malade.
Je ne l'ai jamais connue que comme ca.
Petit,
cela ne me dérangeais pas. J'étais jeune et mon monde se limitait à peu
de choses, mes parents en étaient le centre et le reste n'avait pas
encore de réalité tangible.
Et puis, mon regard s'est ouvert, mon
horizon s'est élargi. J'ai découvert les gens, j'ai découvert leur
regard. J'ai découvert le poids de la différence. Je me suis découvert
une tristesse sans fond et une haine qui l'était tout autant.
J'avais 8 ans.
Bien
trop jeune pour ce genre d'émotions, bien trop jeune pour pouvoir
l'accepter, le prendre avec recul et, plus encore, le vivre bien.
Je me suis construit par la distance, par l'intellectualisation. L'autre, cet autre qui m'a mélancolisé, qui m'a lacéré à un âge où j'aurais du être dans l'insouciance enfantine... comment lui faire confiance, comment accepter de partager avec lui, d'être dans l'émotion, de me laisser aller? Comment lui faire confiance?
J'ai méprisé tous ces petits barbares débiles insensibles, insipides et minables qui couraient en culottes courtes derrière un ballon dans les cours de récréation. Et j'ai continué à les mépriser beaucoup plus tard encore alors qu'ils étaient déjà devenus des banquiers, des juges, des dealers, des épiciers, des fonctionnaires, des proxénètes, des évêques ou des chimpanzés névropathes.
Des années durant, je me suis auto-détruit pour ne plus me voir, pour ne plus les voir, pour ne plus voir combien j'avais besoin d'eux, combien ils m'empêchaient d'aimer ceux que j'avais choisis. J'ai maudit ce monde et préféré les limbes à la lutte. J'ai rationalisé, intellectualisé, cartésianisé là où j'aurais dû laplaciser plutot, vivre certainement. Mais comment faire confiance?
Il n'y a pas de réponse je crois. Question enfantée par la peur pour suciter l'immobilisme. Oxymoron mêlant rationnel et sensitif.
Il y a longtemps que j'ai quitté ma rive. Le léthé n'a rien effacé. La traversée des 4 fleuves n'est pas sans douleur. La peur est toujours là, mais ramenée à sa fonction première, provoquer une réaction. J'avance avec la sérénité de qui s'est trop vu mourir pour avoir encore réellement peur et pour ne pas savoir comment faire. Les autres, leurs regards me blessent encore... mais, Harry, écoute, écoute, le rire des Immortels se rapproche.
Seulement pour les fous.